Sous le soleil Atikamekw
À ceux qui sont prêts à faire ce qu'il faut, pour une vraie réconciliation avec les autochtones
Nous devons nous rassembler en un seul coeur, un seul esprit, un seul amour et une seule détermination
- William Commanda
Le soleil se couche sur la montagne
Comme vous le savez peut-être, je rédige mes textes en direct de mon village: Ste-Émélie-de-l'Énergie, en territoire Atikamekw. Quelque part sur la 131 Nord, à mi-chemin entre Montréal et Manawan: la communauté de 2 000 âmes, où s'est déroulée en Juin 1977, la tragédie racontée dans le nouveau film de Chloé Leriche: Soleils Atikamekw.
Mon idée n'est pas de faire une critique de film ici, mais je tiens tout de même à utiliser cette tribune pour honorer l'authentique démarche interculturelle et l'approche artistique participative de la visionnaire réalisatrice Chloé Leriche. Mention spéciale à l'excellent travail des acteurs et actrices mis en valeur dans ses deux films tournés en langue originale Atikamekw.
Un peu comme avec les histoires Serge Bouchard, entendre nos voisins du nord parler leur langue fait sourire le coeur et donne l'impression de voyager en son propre pays.
De mon côté, j'ignorais tout des évènements de Juin 1977. Ce qui vient me rappeler abruptement que malgré notre proximité physique nous évoluons en quelque sorte, en parallèle avec les peuples premiers. Un peu comme une sorte de troisième solitude.
Alors j'en profite pour poser la question: pourquoi ne pas utiliser la sortie de ce film comme un momentum afin de porter notre attention sur l'impérative réconciliation interculturelle et intergénérationnelle tant attendue avec nos frères et soeurs des premières nations?
Je ne dis pas qu'aucun progrès ne se fait à ce sujet, mais notre canot avance-t-il à vive allure dans le sens du courant? Parce qu'en terme de réconciliation, il semble y avoir une lenteur institutionnelle délibérée et même une sorte de mise en scène calculée, que ce soit lors des excuses officielles de Justin Trudeau ou de la venue du Pape Francis.
Les instances du pouvoir semblent pourtant toujours prêtes à signaler leur vertu lorsque vient le temps de reconnaitre qu'ils opèrent de manière illégitime sur des territoires non-cédés, mais ils stagnent pathétiquement dans une forme évidente d'évitement, lorsque vient le temps de poser des actions justes. Voilà pourquoi je dis que la vraie réconciliation est un impératif culturel de notre ère, un passage obligé, qui, comme pour la souveraineté du Québec, doit être grassroot. C'est à dire pour et par le peuple.
Une fois nos deuils exprimés et nos joies célébrées, je vois une porte grande ouverte, une opportunité de renaissance pour que le Québec achève enfin sa révolution tranquille et commence à jouer un rôle international de premier plan dans la réalisation de la vision que portait William Commanda: A Circle of All Nations.
Il y a tant à soulager dans nos coeurs, tant à déconditionner dans nos esprits et tant à régénérer sur notre magnifique territoire. Que ce soit au niveau culturel, économique, spirituel ou politique, il y a tant à gagner pour tout le monde au sein d'une telle réconciliation. Et pour rêver ensemble d'un monde meilleur, en intégrant le passé douloureux, je le répète, une vraie réconciliation est notre seule option.
"Nous sommes des guerriers pacifiques" lançait une femme Atikamekw lors de la projection du film à Joliette. Exact! Ceux qui sont prêts à déposer les armes pour chercher activement des alternatives à la culture dominante afin de mener paisiblement une bonne vie en pensant aux générations futures.
Pour aller de l'avant, les guerriers pacifiques ne peuvent pas se laisser définir par les blessures du passé, ils doivent tirer les leçons appropriées, les intégrer, pardonner à soi & à autrui et continuer d'avancer la tête haute avec l'histoire qui continue de se raconter et de s'écrire.
Les guerriers pacifiques s'attirent et se reconnaissent entre eux. À chaque rencontre, ils tissent des liens d'amitié de plus en plus solides et peuvent ainsi rebâtir la confiance à échelle humaine. Chaque rencontre interculturelle les transforme un peu, ainsi que la réalité dans laquelle nous vivons. Est-ce là où se trouve la vraie réconciliation? Pour ma part, je crois que oui.
Chaque soir dans mon petit village, lorsque j'observe le soleil qui se couche au delà de la montagne, j'envisage ce meilleur lendemain. Et malgré les défis personnels qui accablent mon chemin, je pense régulièrement à ce peuple de guerriers pacifiques: les Atikamekws, que je ne connais pas encore très bien, mais que je me prépare à rencontrer.
À qui la faute?
La tragédie racontée dans Soleils Atikamekw n'est pas sans rappeler la triste histoire de Joyce Échaquan. Vous rappelez-vous de cette femme Atikamekw qui s'est filmée en direct des couloirs de l'hôpital de Joliette en septembre 2020? Elle voulait montrer à ses proches les propos dégradants tenus par des membres du personnel, qui visiblement ne prenaient pas bien soin d'elle. Joyce est décédée peu après la publication de sa vidéo.
Que ce soit dans le cas de Juin 1977, de Joyce ou même des épouvantables pensionnats indiens, à qui revient la faute lors de ces tragédies? Aux individus? Aux institutions? À la culture dominante? Toutes ces réponses? Mais surtout, comment faire pour que les gens soient tenus responsables?
En posant seulement les questions ci-dessus, j'ai la crainte que l'on dilue le momentum qui nous est offert dans d'interminables séances de récoltes d'opinions. Parce que chercher un coupable pour la corruption, l'indifférence ou le racisme systémique, c'est un peu comme l'aiguille dans la botte de foin.
Ceci dit, j'invite à la plus grande prudence en ce qui concerne les solutions institutionnelles telles que des politiques comportementales. Cette dynamique nous engage dans une voie coercitive où il faudra nécessairement trouver une façon d'imposer les comportements souhaitables et d'appliquer la surveillance et les réprimandes nécessaires pour faire régner le nouvel ordre. Nous devrons donc créer ou renforcir certaines instances, à qui nous délèguerons l'autorité de faire respecter ces lois et l'anarchiste en moi ne croit pas vraiment en cette approche pour créer un changement en profondeur.
Par exemple, que se passe-t-il lorsque au sein d'un corps de police, du gouvernement ou du clergé, il y a des individus en position d'autorité qui ont des comportements violents, racistes ou sexistes?
Accepteront-ils humblement de se révéler et se tenir responsables les uns, les autres, ainsi que de travailler activement à irradier ces comportements à la source? L'histoire nous prouve que non. Il n'y a qu'à constater comment le Vatican protège ses prêtres pédophiles pour s'en rappeler.
En focusant sur la responsabilité individuelle, je crois que l'on se rapproche d'un réel changement, mais il faut rester vigilant. Parce que pour survivre en ce monde tordu, nous avons tous développé notre faculté à porter le masque de la bonne et gentille personne. Mais les comportements et croyances malsaines sont plutôt enfouis dans notre inconscient. Donc, je crois que c'est là que se trouve la racine du problème: nos parts d'ombres enfouies dans l'inconscient individuel et collectif.
Toute guérison menant à une transformation comportementale et culturelle durable doit d'abord provenir de la volonté d'un individu qui s'engage librement à prendre responsabilité de mettre ses ombres en lumière et accepte d'être humblement balisé sur ce chemin de guérison.
Nous avons tous des ombres, nous avons tous commis des fautes et personne n'est à l’abri d'en commettre à nouveau. Mais, les guerriers pacifiques sont patients, résilients et bienveillants. Ils savent accueillir, pardonner et refaire confiance à ceux qui dévoilent et soignent leurs ombres.
Qui sont les vrais sauvages?
La semaine dernière, j'ai lu le livre On Nous Appelait Les Sauvages de Dominique Rankin, chef Anichinabé, successeur de William Commanda. Livre coécrit avec sa femme Marie-Josée Tardif.
Il y a un passage fort éloquent où, après avoir vécu pendant plusieurs années les abus du clergé dans un pensionnat indien, il se retrouve dans un sweat lodge avec des ainés de son clan. Ces derniers lui demandent de mettre en lumière ce qu'il a vécu au pensionnat. Dominique peine à raconter l'histoire, puis lance rapidement le blâme sur le gouvernement, la police et la congrégation religieuse qu'il tient responsable de son mal-être et des abus commis.
Un des ainés lui répond que ce ne sont pas les institutions qui sont responsables de ces actes.
Ces comportements horribles ont été commis par des humains aux coeurs blessés qui ont oubliés qui ils sont réellement. Ceux ci ne comprennent plus les lois cosmiques: les principes de cause à effet; ce qu'ils font à leurs semblables, ils le font à eux-mêmes. L'ainé invite Dominique à leur pardonner, à ne pas les juger et même à avoir une certaine compassion pour eux. L'ainé l'invite à se libérer lui-même.
Avec un peu de recul, cela apparait comme une évidence: il n'y a aucun humain en pleine conscience, le coeur paisible et joyeux qui chercherait à faire du mal à autrui, particulièrement à des enfants. Et nous avons tous, à des degrés différents, eut des comportements malsains envers nos semblables. Moi le premier. Donc, je peux établir les limites de ce que je souhaite, mais qui suis-je pour juger?
On raconte que ce qui nous pousse à des comportements malsains, c'est de choisir de suivre le petit diable sur l'épaule. Ou encore, ces ombres enfouies dans notre inconscient, qui se nourrissent de nos blessures. Certains autochtones nomment ce phénomène WETIKO ou le WENDIGO: un virus de l'esprit.
En bout de ligne, lorsqu'on commence à marcher son chemin de guérison et qu'on l'apprivoise, il n'est pas très dangereux. Il a principalement besoin de s'exprimer, d'être vu et entendu, parce qu'en réalité, il a très peur de la lumière et du feu sacré qui se trouve dans le coeur des Hommes. La lumière dissout l'ombre.
Pour faire revivre notre sacré coeur, nous, les québécois, aux comportements parfois sauvages, devrions commencer par nous mettre à l'écoute et apprendre des guerriers pacifiques que sont nos frères et soeurs des peuples premiers. Nous pourrions peut-être ainsi renaitre à nous-même, sous le soleil Atikamekw.
*** Fin ***
P.S. Contrairement à ChatGPT, écrire un texte me demande plusieurs heures, ce que je fais de tout coeur avec grande joie. De ton côté si tu apprécie me lire, je te propose en échange de prendre 2 minutes de ton précieux temps pour partager ou laisser un commentaire constructif. Merci à l'infini!
** Bio Yonathan **
Toujours partant pour une balade en montagne, Yonathan habite depuis 2011, à Sainte-Émélie-de-l'Énergie, au Québec. Libre penseur alchimiste d'inspiration situationniste, il prône la philosophie du suis-ton-coeur-jusqu'au-bout. Constamment en cheminement de conscience, aucune étiquette ne lui colle à la peau. Il marche humblement sur le sentier du coeur en livrant son art comme des bouteilles d'étoiles lancées humblement dans la mer profonde de la névrose moderne.
*** Sacrum ***
Sacrum est un espace pour se rassembler et faire revivre le sacré; célébrer la poésie vivante du grand mystère; explorer tous les sujets sans tabous pour s'immerger totalement dans la beauté sacrée du monde et des humains qui l'habitent.
Quel magnifique texte. Quelle belle réflexion remplie de sagesse. Je suis parfaitement d'accord....pour toute forme de réconciliation, il doit y avoir reconnaissance et intégration du passé douloureux...et oui je crois aussi que ça commence par la responsabilisation de chacun....de reconnaître, d'accuellir, de mettre en lumière nos parts d''ombres. Afin de "rebâtir la confiance et envisager le meilleur lendemain"....pour nos propres vies et pour le collectif. Reconnaître et honorer notre souffrance et celle des autres a un puissant pouvoir d'harmonisation...de réconciliation. 🙏
Belle réflexion….je crois également que la clef est la responsabilité individuelle…de partager nos savoirs…en se faisant un devoir de prendre parole quand il le faut.